Ceci N’est Pas Un Piano

22 Mar 2022

Credit Photo FLY de Latour

Char of a secret order. 2016.

Stefan TCHEREPNIN

Fourrure synthétique bleue. Amplificateur. Lecteur de CD. Pierres de Niesen. Galerie Francesca Pia à Zurich.

Les apparences sont souvent trompeuses.

Pourtant on s’y laisse prendre. On n’y voit que du bleu. Un piano sous une housse de fourrure synthétique bleue à trois pattes griffues et deux yeux globuleux. Évocations multiples déconcertantes. L’art contemporain se fait coutumier des questionnements et associations en tout genre.

Un personnage aux yeux globuleux vêtu de fourrure noire se tient debout à distance. S’il était pianiste ou accordeur sa présence justifierait l’idée première qu’il y aurait bien là sous une housse bleue un piano à queue.

Mais si c’était un ours ?

Le kitsch de l’ensemble rappelle soudain les marionnettes monstrueuses du Muppet Show. Quel est le rapport ?

Josef Beuys dans sa performance en 1966 « infiltration homogène pour piano à queue, le plus grand compositeur contemporain est l’enfant thalidomide » avait déjà étouffé un piano sous une camisole intégrale de feutre gris estampillée d’une emblématique croix rouge. Personne n’a vérifié la présence effective d’un instrument sous la housse. Qui a perçu sous le silence la dénonciation des méfaits de la thalidomide sur les petits enfants. Comment comprendre ?

Autre tentative de rapprochement : le piano à queue Erard peint en bleu rouge et rose par Bertrand Lavier en 2019.

Décalage, dérision, références à la B.D. et au monde de l’enfance ne permettent ici ni comparaison ni meilleure compréhension.

Attention portée aux détails : Les deux oculi écarquillés faits de billes rondes rapprochées seraient en pierres de Niesen.

Pic parfaitement pyramidal le Niesen domine les Alpes bernoises du haut de ses 2362m. Accessible par le funiculaire le plus long du monde il recèle des galets quartziques parfois appelés dragonite chers aux géologues. Ces vestiges du Crétacé supérieur témoignant d’une époque antérieure au retrait de l’océan alpin seraient-ils posées tels deux yeux regardant le passé sur la mer bleue d’une fourrure synthétique ? Cailloux blancs d’un Petit Poucet antédiluvien.

Piano or not piano ?

Sur le cartel la description de l’œuvre ne fait aucune mention de piano mais d’un lecteur de CD et d’un amplificateur.

Mystification ! La housse masque ! La housse trompe ! Il n’y a pas de piano. Il n’y a rien. Rien ?

Écouter un CD ou un piano…ça change quoi…plus besoin d’accordeur, plus besoin de pianiste, plus besoin de concert…plus besoin…

La forme archétypale du piano est si unanimement ancrée au fond des imaginaires que tous s’y laissent prendre. Un piano sinon rien.

Les plus audacieux voudraient soulever le voile. Regarder sous la jupe. Ils n’osent pas. Si c’est une farce elle ne fait rire personne.

De toutes les façons on n’entends rien, c’est bizarre.

Pourtant l’artiste est musicien. La forme donnée à voir est celle d’un piano. L’annonce est faite d’un amplificateur. Alors musique !

Mais non le silence règne.

On n’entends rien et on ne peut pas voir ce que la housse cache.

Pourtant des yeux sont là qui nous regardent.

A quoi joue-t-on ? A un genre de colin-maillard où celui qui se cache regarde yeux grands ouverts celui qui le cherche sans pouvoir le voir.

Qui a les yeux bandés ? Qui cache quoi ? Questionnement artistique s’il en est.

On n’y voit rien ! aurait crié Daniel Arasse.

Aveuglement réciproque et surdité partagée. Question de société et d’actualité.

Cookie Monsters et Merkaba

Mais rien ne bouge. Rien ne répond aux questions.

Qu’il est exaspérant de se sentir réduit à l’incompréhension devant une installation si kitsch and cheap ! Un gros nounours accompagné d’un animal-piano fleur bleu. Et alors ?

…J’me suis fait tout p’tit devant une poupée…la chanson est venue comme ça. De loin. Comme une invitation à regarder humblement vers l’enfance. L’innocence. La pureté des commencements. L’âge où la vérité sort de la bouche.

Les poupées de Brassens ont fait la révolution. Les autres sont devenues marionnettes de fourrure bleue aux yeux globuleux on les appelle Cookie Monsters.                    Elles sont la mise en forme de l’oralité dévorante, entre obésité et anorexie, elles n’ont qu’un mot à leur bouche toujours pleine. En français « gâââto » en anglais « miom miom «.

Ainsi à travers le monde depuis cinquante ans les enfants contemplent par écran interposés ce qu’ils sont en train de devenir : des consommateurs à l’insatiable appétit. Et ce faisant ils ont fait la fortune de Jim Henson génial créateur du Muppet Show.

Le Char d’un Ordre Secret de Stefan Tcherepnin charrie une mystérieuse cargaison bâchée de bleu dénonçant un monde de faux-semblants et d’injonctions contradictoires dans lequel les enfants sont les dupes que l’on gave.

Rien n’empêche de faire un lien plus ésotérique avec Merkaba qui signifie char divin en hébreu et qui a été repris dans les théories du New Age comme étant la capacité pour l’être humain de voyager dans l’espace et le temps. Un véhicule vers d’autres niveaux de conscience. Vers d’autres mondes.

 

Stefan Tcherepnin

né à Boston en 1977, vit et travaille à Brooklyn. Artiste plasticien formé dans des écoles d’art multidisciplinaires telle la Milton Avery school of arts il est aussi compositeur-interprète de musique électronique diplômé de l’Oberlin Conservatory.

Descendant d’une famille de compositeurs russes, il utilise le Thérémine inventé en 1920 par Sergei Termen et le Serge Modular premier synthétiseur modulaire mis au point dans les années 70 par son grand père Serge Tcherepnin.

Ses installations associent peluches monumentales dites Mad Masters et musiques expérimentales. Porteuses de messages dits « Secret » elles s’exposent en fourrure et en couleur aux États-Unis et en Europe.

 

FLY de Latour ce 12 décembre 2021 jour de la saint Corentin évêque de Quimper

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