Explosion de Piano

16 Fév 2022

JAZZERCISE

JAZZERCISE

Antonio O’Connell. 2009.

Oeuvre créée au MUAC dans le cadre du programme Recyclage.

Crédit Photo Francisco Peña

 

PROLIFERATION

La première impression est de stupéfaction devant l’acharnement méthodique destiné à détruire autant qu’à reconstruire. La peur et la curiosité se mêlent devant ce spectacle inhabituel au cœur duquel le piano se trouve.

Les artistes « abuseurs de piano » que sont Arman John Cage Ben Josef Beuys et bien d’autres ne sont jamais allés aussi loin. Leur propos était différent. Ils cherchaient à se débarrasser de l’objet. A le supprimer. A le faire taire.

Ici dans cette explosion figée ce qui se joue est de l’ordre de la conservation. De la construction. L’accumulation et l’augmentation. De la prolifération.

DEBAUCHE CACOPHONIQUE

Il a fallu désosser éventrer les deux pianos visibles sur cette photo. Peut être y en a-t-il d’autres invisiblement intriqués dans ces accouplements multiples et contre nature.

L’opération fut violente et sans égard. Touches et ivoires manquants. Placage arraché. Couvercle détaché. Déplacement du cylindre dont la marque inscrite reste indéchiffrable.

Malgré le carnage les instruments sont identifiables. Il s’agit de pianos sans aucun doute. Des pianos diffractés. En pièces détachées curieusement réagencées suite aux égarements d’une folle débauche sculpturale cacophonique.

Par quel bout la prendre ?

 

ECHAFAUDAGE INSTRUMENTAL

D’après ce que la prise de vue permet d’observer l’œuvre monumentale est constituée en trois dimensions de pièces hétéroclites et de débris. Elle évoque un instrument de musique hybride. Un piano à queue et un piano droit réassemblés avec planches pupitres et tiges métalliques. Le tout maintenu suspendu en déséquilibre avant par des câbles. L’ensemble complexe se présente de face par un clavierreposant sur deux pieds devenus inutiles et surmonté d’un invraisemblable échafaudage.

Cet étrange chaos semble hésiter entre décoller ou s’écraser au sol. Une menace plane. L’oeuvre est à double intention. Iconoclaste certes elle se fait iconodule en son élan figuré vers le haut. L’explosion qui détruit se métamorphose en Ascension apaisée par la volonté de l’artiste. Apocalypse et jugement dernier sont en cours. Explosion musicale s’il en fut.

Délire d’accordeur. Catastrophe et cataclysme. Colère ou vengeance. Accident.

Le résultat obtenu se veut des plus spectaculaires. Il envahit l’espace entre un escalier et la façade de verre du musée. Incontournable exhibition.

 

PEINTURE SCULPTEE

Un élément de ce puzzle géant intrigue : un chevalet de peintre.

Serions-nous devant une représentation trompeuse derrière sa monstruosité ?

Ce qui explose aux yeux des regardeurs n’est pas un assemblage constructiviste chaotique. Ce qui est donné à voir est d’un autre ordre : une œuvre hybride. Une peinture sculptée. Une sculpture sur chevalet. Une innovation dans les modes de représentation.

L’artiste sans toile ni peinture a mis directement sur son chevalet non pas un bric à brac de pianos mais la musique qu’il ambitionnait de peindre.

Comment mieux représenter la musique qu’en utilisant pour la peindre ce qui sert à la produire ?

 

L’OEUVRE L’ARTISTE et son PROPOS

L’œuvre plaît aux musiciens et aux accordeurs. Elle circule. Se sert d’affiche ou de pochette. S’accroche. S’intrigue. Se focalise l’attention sur son aspect anti conformiste. Elle est vue comme un feu d’artifice de piano. Une explosion. Une audace. Rêve fou cauchemar ou bien espoir caché ?

Où se trouve cette œuvre dont l’image circule ? Existe-t-elle encore ?

Qui en est le mystérieux constructeur ? Est ce un facteur de piano ? Un sculpteur ? Un vandale ?

Nous apprendrons enfin qu’il est mexicain architecte et artiste : Antonio O’Connell.

Il a donné à l’œuvre le titre de Jazzercise. Mot-valise « Jazzercise » associe jazz et exercice. La construction de l’installation relève en effet de l’improvisation sur le principe d’une musique de jazz.

Elle a été réalisée au MUAC dans le cadre du programme Recyclage utilisant les déchets conservés à cet effet par le musée. Il s’agissait à travers l’art de dénoncer le système de consommation de masse et d’éveiller les consciences. Cette démarche est celle qui anime principalement le travail d’O’Connell.

Antonio O’Connell

Né en 1974 à Mexico où il travaille comme artiste et architecte.

Dans le cadre de l’art contemporain ses installations explorent les liens entre art et architecture.

Architecte indépendant son penchant pour l’architecture expérimentale l’a conduit dans le domaine de l’art contemporain.

Son travail matérialise en des structures éphémères (Métaphore dun virus. Virus. Inoculation.) l’aspect viral d’un système capitaliste en décomposition. Il assimile cette autodestruction à un virus qui infecte les structures et construit les siennes à partir de ce que le système rejette.

Il s’interroge sur le rôle du binôme architecture/art. Pour combler le fossé entre les sociétés développées et sous-développées. Il considère ce fossé comme un espace conceptuel devant être conçu par tous – pas seulement des architectes ou des artistes – dans un monde non pas uni par la technologie et l’accès immédiat à l’information mais par un environnement commun de plus en plus menacé.

La dislocation calculée des pianos de Jazzercise et leur explosive mise en pièces évoquent la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le boeuf dans une fable de La Fontaine. Elle s’enfla si bien qu’elle en creva !! Le message est passé. L’alerte est donnée !!

FLY de Latour ce 11 octobre 2021 jour de la St Firmin

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