Chopin’s Waterloo
Œuvre de la série des Colères ou Rages Musicales d’Arman.
Réalisée en 1962 l’œuvre est exposée au Musée National d’Art Moderne de Paris.
Performance débridée puis œuvre définitivement fixée au mur sont les deux phases d’une création évoluant de la destruction à coups de masse jusqu’à la recomposition artistique.
Au départ était un instrument de musique : le piano.
Le titre quant à lui dénonce deux défaites et pas des moindres celle d’un empereur et celle de Chopin.
Le 18 juin 1815 à Waterloo : 19h30 Napoleon acculé fait donner la Garde. À 20h30 retraite de la Garde sur ces mots de Cambronne « La Garde meurt mais ne se rend pas » et puis « Merde » ce sera le mot de la fin.
Quatre jours plus tard l’empereur ne l’est plus. Il a abdiqué. Il finira sa vie en exil à Ste Hélène.
(Pour éviter toute impréparation coupable en 2021 ne pas oublier les cérémonies du bicentenaire)
À Waterloo ont péri plus de dix mille hommes et autant de chevaux. Une hécatombe.
Cette année là Chopin a cinq ans il se met au piano. Il est né « polonais » dans le duché de Varsovie dont l’histoire sera faite et défaite par celle de Napoléon. Dès 1813 il fut « russe » sous l’occupation. Il quitte définitivement la Pologne en 1830 et vivra jusqu’à sa mort en 1849 à Paris.
Il fut le plus grand pianiste compositeur « français ? » de l’époque romantique.
(Par souci de généalogie précisons que George Sand avait pour aïeul Frédéric-Auguste de Saxe roi de Pologne…)
À quelle défaite Arman fait-il allusion ?
À la sienne !
Comme beaucoup d’enfants contraints à l’étude du piano puis au constat de leur incapacité il conçu pour l’instrument amour et haine.
Ce double ressentiment augmenté d’élans anticonformistes expliquerait la hargne avec laquelle beaucoup d’artistes (masculins) se sont littéralement attaqués à cet instrument.
D’un point de vue psychopathologie on pourrait invoquer une sorte d’angoisse de castration irrésolue cherchant l’apaisement dans des acting-out irrépressibles.
Ces artistes font majoritairement partie des Nouveaux Réalistes et du mouvement Fluxus.
En 1960 Pierre Restany rédige avec Yves Klein et Arman le manifeste du Nouveau Réalisme.
Ce mouvement d’avant-garde voulait apporter un regard nouveau sur la réalité d’une société de consommation impuissante à faire oublier les questions existentielles qu’elle cherche en vain à masquer derrière une boulimie exponentielle puisque toujours insatisfaite.
La destruction est à l’œuvre.
Elle est mise en scène en public dans des actions-spectacle défouloirs collectifs ludiques et subversifs. Happening éphémères ou précurseurs d’œuvres pérennes. Sortes d’aventures figées.
Il ne suffit pas d’exploser des pianos à la hache ou de les lâcher par la fenêtre. Il faut les calciner les étouffer les renverser les remplir d’eau les travestir ou leur faire produire des sons étranges et inappropriés. Les mettre hors d’état de « nuire » tout en les utilisant pour nourrir la contestation.
Enregistrements photos et reconstitutions font œuvres a posteriori.
Le piano droit ou à queue est devenu tout à la fois matière de l’œuvre et symbole d’une société à transformer. Sa forme archétypale parlait à tous. Transformée elle fait encore sens.
Carrosseries de voiture affiches publicitaires écrans de télévision produits et déchets divers du consumérisme se verront aussi accumulés et métamorphosés par des détournements et récupérations de toutes sortes.
Entre ubris et méticulosité extrême il s’agit de disloquer de découper pour ensuite recomposer en amenant un regard nouveau sur les «choses » devenues pièces éparses d’un puzzle disloqué.
Violentes autopsies. Transposition des crises meurtrières de l’amok sur des objets de substitution.
Comme un boucher dépèce la bête pour la recomposer en terrines et autre saucissonerie l’artiste met en acte son paradoxe iconoclaste/iconodule se faisant diable-dévastateur puis dieu re-créateur.
Car il s’agit toujours de détruire l’insupportable idole pour mieux en adorer les reliques.
Ont crée sous la bannière du Nouveau Réalisme : Yves Klein, Arman, Raymond Hains, Jacques de la Villeglé, César, Daniel Spoerri, Martial Raysse, Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Mimmo Rotella, François Dufrêne, Gérard Deschamps…
Arman
De son vrai nom Armand Fernandez est né en 1928 à Nice et mort à New York en 2005. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris. Sur sa tombe un violoncelle et ces simples mots « Enfin Seul »…
Prévoyait-ilà la terrible bataille juridique en cours entre ses six enfants et sa dernière épouse autour des milliards de sa succession ?
Il étudie à l’école des arts décoratifs de Nice et à l’école du Louvre. En 1947 il rencontre Yves Klein avec qui il partage la passion du judo et des philosophies orientales.
En 1960 il présente l’exposition « Le Plein » à la galerie Iris Clert faisant suite à celle de Klein intitulée « Le Vide ». La même année les deux amis fondent avec le critique d’art Pierre Restany le groupe des Nouveaux Réalistes.
Dés 1961 Arman s’installe en alternance à Nice et à New York. À l’hôtel Chelsea puis dans un loft à Soho et dans son immeuble à TriBeCa.
L’œuvre d’Arman
Elle semble à l’image de sa vie à moins que ce ne soit le contraire. Ambivalente.
Il dénonce le rapport des sociétés modernes à l’objet tout en le sacralisant en le faisant accéder au statut d’œuvre d’art.
En 2014 une « Poubelle « d’Arman était mise aux enchères 10 000 euros.
Après avoir « fait les poubelles » et exposé des détritus il continue par les « Accumulations » de téléphones en bakélite de tambours de machines à laver de tube de peinture usagés d’outils de montres de rasoirs d’horloges de lunettes de voitures…objets manufacturés dont il est lui même collectionneur tout autant que de pièces d’art africain.
En 1961 il entame les séries des « Colères » des « Coupes » des « Combustions ». Les instruments de musique sont mis à dure épreuve. Violons contrebasses et surtout pianos.
Dans les années 80-90 il multiplie les techniques et revient à la peinture.
Il réalise des sculptures en bronze à partir de copies de la statuaire classique auxquelles il fait subir le « découpage à sa façon » pour les re-assembler dans un savant désordre.
Voir rue Octave Callot à Paris son emblématique « Vénus des Arts » esthétique sandwich de Vénus de Praxitèle fourrée de tranches de violoncelle.
Il investit l’espace public d’oeuvres monumentales : « Long Term Parking » tour de voitures superposées sur 20 mètres de haut à Jouy-en-Josas. « À la République » 200 drapeaux de marbre pour le palais de l’Elysée. « Rostropovitch’s Tower » tour de « coupes » de violoncelles en bronze à NY. Gare Saint Lazare à Paris « L’Heure de tous » et « Consigne à vie » accumulations d’horloges et de bagages…
Artiste génial et prolifique il laisse derrière lui une œuvre considérable empreinte de musique.
FLY de LATOUR ce 1° avril 2020 à Paris jour de la St Fulbert