Please Play Or The Mother The Father Or The Family

13 Avr 2020

Photo Fly de Latour

PLEASE PLAY OR THE MOTHER THE FATHER OR THE FAMILY
Performance de John Cage (1989)
Piano renversé
Lames de feutre et piano à queue Pleyel

 

Curieuse façon de traiter l’instrument que de le poser à la renverse.

 

Pieds en l’air. Soigneusement à plat. Noir sur un matelas-millefeuille multicolore et feutré. Pupitre signé PLEYEL couronnant le tout.
Il ne s’agit en rien d’un accident. Tout est intact. Atterrissage en douceur. Toutes les précautions ont été prises. Il repose paisiblement et garde encore en cette position une certaine majesté.

La première conséquence et pas des moindres puisqu’il s’agit d’un piano tient en l’impossibilité totale d’avoir accès au clavier. Au clavier et aux cordes.
Le piano est devenu impraticable. Inaccessible. Intouchable. Interdit.
Dans la grande nef du Musée des Abattoirs il semble narguer les visiteurs. Pattes en l’air.
Noli me tangere ! Avertit-il en ce lundi de Pâques où ces trois mots prennent tout leur sens.
Tortue sur le dos s’en trouverait vulnérable et risible.
Lui sur le dos il s’impose. Muet certes mais présent. Un défi à lui tout seul.
Point final ou bien d’exclamation.

 

John Milton Cage

 

Poète peintre philosophe et compositeur de musique contemporaine fut un de ceux qui pensait la musique en termes de sonorités entre les silences.
Poussant l’expérimentation jusqu’à son point ultime en 1952 il écrivait la pièce 4´33 ´´.
Un morceau de « silence » permettant d’entendre les bruits ambiants d’autant plus audibles que la musique se tait. Dans une salle concert ou n’importe où. On s’entend mieux quand le silence se fait, on s’entend mieux dans les deux sens, on est amené à écouter les autres et ses propres émissions sonores. Jusqu’aux pulsations cardiaques gargouillis souffle frottements et sifflements.

A-t-il eu cette idée d’un piano renversé pour en faire la représentation sans appel du silence ?
Un silence émanant d’un piano n’étant pas seulement un silence mais le silence de la musique du piano. La notion de silence était particulière pour Cage qui affirmait « le silence n’existe pas ».
Reste toujours l’idée que silence et musique seraient les deux faces d’une même entité.
Intimement liées mais inverses.

Pour imposer silence au piano il l’a définitivement condamné à ne plus pouvoir être joué. Condamnant ainsi aussi l’éventuel instrumentiste. Basta ! Plus de piano plus de musique, plus de pianiste plus d’auditeur et donc plus d’accordeur non plus. L’affaire est réglée, la messe est dite.

 

Cage avait-il des comptes à régler avec les pianos ?

 

Certainement. Il les a transposés en créant. En 1940 le Piano Préparé, en 1952 le piano refermé, en 1989, le piano renversé, pour finir.

Bien avant la fin de sa vie John Cage souffrait de mille maux. Il était « empêché ». Empêché de jouer en particulier. Aurait-il transposé cet empêchement sur son instrument ?

Cage devait mourir en 1992 très peu de temps après avoir conçu ce renversement de piano. Avait-il le pressentiment de l’éternel silence à venir ? Voulait-il le conjurer en installant cette mise en scène macabre ? Voulait-il en ce piano-codicille laisser l’ultime trace de ce qu’il fut ?
Le silence et la mort en un piano reposant sur le dos dans un linceul multiplis. R.I.P.
Ci-gît John Milton Cage.

Le long titre pourrait orienter l’interprétation de l’œuvre si au contraire il ne la complexifiait pas.
« Please play or the mother or the father or the family »
Convocation par un fils de 78 ans de la famille au complet. Alternativement et en réunion.
La mère d’abord. Le père ensuite.
Le cercle de famille applaudissant à grands cris l’enfant prodige assis devant son piano.
Il se souvient…les premières leçons…Dada…le piano préparé…Merce Cunningham complice et compagnon…l’aléatoire…Marcel Duchamp…performances et happening…Fluxus…

Attribuée à John Cage cette oeuvre est conservée dans la Collection Commune de Gino di Maggio au Mudima à Milan. Son titre est celui d’une performance au cours de laquelle l’objet-piano est mis en question. Cage en a détaillé le protocole précis.
À la manière d’une partition à suivre pour réactiver la performance. La ressusciter.

Ainsi va l’œuvre qui continue et se recrée.

FLY de LATOUR ce 13 avril 2020 lundi de Pâques et jour de la Ste Ida.

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